Manifeste des Paladins Chatoyants
Je vous propose après un long moment d’absence sur “la toile” un article un poil particulier :
1- Il n’est pas de moi mais du président d’une association où j’oeuvre
2- Il touche un milieu sur lequel j’écris assez peu j’en conviens, le jeu de rôle
3- Ce manifeste est à mes yeux important au point de me sortir de ma retraite du web
Sur ce bonne lecture
[Article officiel pour ceux qui veulent signer]
Je tiens, en tant que président de l’association Aux Portes de l’Imaginaire, à apporter mon grain de sel par rapport aux récentes polémiques sur le jeu de rôle. Une association est le fruit des actions de ses membres, elle ne peut être que le reflet de nos idéaux, puisque nous n’avons aucun intérêt commercial particulier.
C’est donc au nom des membres, des bénévoles et des partenaires de l’association que je m’exprime au sujet de la haine latente qui règne depuis quelques temps à propos de la prétendue « bien-pensance » portée par les actions des acteurs pros et amateurs, organisateurs ou créatifs.
Oui, j’estime que nous allons dans la bonne direction. Cela se reflète, par exemple, au travers du succès du financement de la nouvelle édition de RuneQuest, qui a mis en avant la féminisation du terme MJ, devenant Meneuse de Jeu, dès la couverture du jeu. Mais comment se fait-il que cette initiative puisse susciter une telle polémique ?
D’aucuns ont déjà été accusés de promouvoir la « novlangue rôliste » avec « Meneur de Jeu » au lieu de « Maître de Jeu ». L’objectif de tout cela ? Rompre avec d’anciennes pratiques désuètes, qui ont participé à la mauvaise image du jeu et de son manque de visibilité auprès du public. Oui, le principal reproche que vous pouvez nous faire est d’essayer de populariser et démocratiser au mieux ce loisir. Certains peuvent se sentir dépossédés et trahis par ces actions.
Toutefois, il faut bien distinguer le jeu dans l’espace privé, chez soi, entre amis, du jeu dans l’espace public, en convention, en salons et même en club.
Nous ne cherchons pas à être une « police de la pensée » comme j’ai pu le lire quelques fois, suite à certaines de nos publications. Nous ne cherchons pas à ridiculiser les « anciens joueurs », à démontrer une quelconque supériorité des jeux « narrativistes » (que je hais ce mot) sur les jeux « traditionnels ». Il n’y a ni complot ni objectif de « grand remplacement » dans toutes ces initiatives. Nous cherchons à montrer la pluralité du loisir, ses différentes formes, anciennes ou plus modernes et, pourquoi pas, nous interroger sur notre loisir, car nous devrions regarder en face les problèmes actuels et passés pour les résoudre, si possible, avec bienveillance.
D’abord, il faut rompre avec l’image d’Épinal du « Maître de Jeu Tout Puissant ». Il n’est pas le seul participant de la partie, les joueurs ne sont pas le public de son One Man Show. Ils ne sont pas plus des marionnettes qui agissent telles que lui seul l’a décidé. Tous les participants sont égaux, tous ont quelque chose à apporter. Auprès des joueurs qui souhaitent découvrir ce loisir, nous promouvons un jeu à la liberté totale, mais trop souvent encore, après vingt minutes de jeu, ils se rendent compte que leurs choix et leurs décisions leur échappent. En bons « paladins chatoyants », nous écrivons actuellement une charte pour clarifier nos attentes envers les meneurs de jeu qui nous représentent dans l’espace public, avec des points qui sont finalement des évidences, trop souvent perdues de vue : avoir une partie prête à jouer, être bienveillant et à l’écoute des joueurs ou, tout simplement, être présent lorsqu’on s’est engagé à venir. Regardez le contenu de ces chartes de conventions, elles ne sont pleines que de points qui n’évoquent rien de plus que la politesse et le respect mutuel.
Ensuite, il faut que le jeu de rôle devienne plus inclusif dans son texte, sa pratique et sa conception. Encore une fois, toutes les animations que nous faisons, sur des événements généralistes, prouvent que le loisir se féminise ; allant même parfois nous faire animer des tables composées essentiellement de joueuses (trop rarement meneuses). Depuis une décision remontant au 18ème siècle, notre langue utilise le neutre masculin. La notion d’inclusion n’est cependant pas neuve : White Wolf utilisait « she » dans ses jeux pour désigner ses personnages-joueurs, et il n’était pas le seul. Aujourd’hui, des auteurs et des éditeurs décident de féminiser ce neutre en expliquant ce choix. C’est un choix militant, mais l’écosystème du jeu de rôle l’a finalement toujours été. Il existe une multitude de techniques pour rendre le jeu plus inclusif, elle ne se limitent pas aux notations expérimentales utilisant le point milieu ou des pronoms neutres (iel), mais rien que le fait de féminiser un terme (meneuse, joueuse), d’inclure des noms féminins dans les exemples ou encore de briser les clichés sexistes des personnages joueurs ou non-joueur est une démarche inclusive.
Enfin, être inclusif demande aussi de lutter contre le harcèlement à la table. Il n’est ni nouveau, ni le fait de pratiques déviantes du jeu de rôle. Il existe aussi bien dans la sphère publique que la sphère privée. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi un rôliste régulier qui fréquentait vos tables ne vient plus ? Le jeu de rôle en lui-même n’est pas fautif, contrairement à quelques participants dont le comportement est inapproprié à la table. Le sexisme et le racisme ordinaire en sont des vecteurs, tout comme l’acharnement à toujours cibler et se moquer du même joueur ; ce sont les prémisses du harcèlement. J’en ai subi, j’en ai peut-être aussi fait subir sans en avoir conscience. J’en ai sans doute aussi été le témoin silencieux. Pour ces mêmes raisons, des auteurs se sentent à la fois légitimes et concernés pour évoquer ces questions dans leurs jeux.
Donc, voilà, maintenant, vous savez tout. Aux Portes de l’Imaginaire est une association regroupant des Social Justice Rôlistes et des Paladins Chatoyants. Donc, si vous trouvez que nos propos vous oppriment ou vous discriminent, nous pouvons, pour le bien de tous, continuer à nous ignorer gentiment.
Pour les autres, à très bientôt !